Une équipe internationale présente une cartographie à l’échelle de l’Europe de l’affaissement des terres littorales. Ce phénomène aggrave les conséquences de la hausse du niveau des mers. Entretien avec Rémi Thieblemont, ingénieur chercheur au BRGM
Une équipe de chercheurs vient de présenter une cartographie inédite des mouvements verticaux du sol sur l’ensemble des littoraux européens. D’une précision sans précédent, la méthode a combiné deux outils pour donner naissance à un nouveau service accessible au public, Copernicus EGMS. Publiée dans une revue scientifique de langue anglaise (»AGU Advancing Earth and Space Sciences»), l’étude montre que près de la moitié des zones côtières de basse altitude en Europe connaît une subsidence – un affaissement – supérieure à un millimètre par an en moyenne. Le phénomène s’avère de plus forte amplitude dans les zones portuaires, où la subsidence moyenne est de l’ordre de 1,5mm/an. L’étude identifie aussi des zones côtières où le tassement est sévère, avec des vitesses dépassant les 5mm/an. Entretien avec Rémi Thieblemont, ingénieur chercheur au BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), le premier auteur de l’article.
Avec le réchauffement climatique, on parle beaucoup d’élévation du niveau des mers. L’affaissement des terres littorales est un phénomène moins connu. Comment se manifeste-t-il?
On est conscient depuis longtemps qu’il existe des mouvements verticaux du sol. Le rebond scandinave est bien connu, il résulte de ce qu’on appelle un «ajustement isostatique». Avec la fin de la dernière période glaciaire, la glace épaisse qui pesait sur la Scandinavie a disparu, ce qui a fait remonter les terres de manière élastique, quasi instantanément. Le rebond provoqué par le réajustement du manteau visqueux de la Terre [la zone comprise entre la croûte terrestre et le noyau, NDLR] a fait sentir ses effets par la suite, jusqu’à nos jours. L’élévation des terres en Scandinavie a pour conséquence une baisse relative du niveau marin dans la région. Par contrecoup, les terres s’affaissent autour, par exemple aux Pays-Bas et en Allemagne. Aux États-Unis, les problèmes de submersion marine à marée haute deviennent récurrents en raison de deux facteurs qui se cumulent: l’élévation du niveau océanique causée par le changement climatique et l’affaissement des terres sur la côte Est du pays, notamment dans l’État de New York. Cet affaissement est, là aussi, généré par le rebond isostatique des terres libérées des glaces au nord du continent américain qui s’accompagne du mouvement inverse plus au sud.
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On se projette généralement à 2100 pour évaluer la hausse du niveau marin. Sur les linéaires côtiers qui s’affaissent, il faudrait ajouter aux prévisions au moins 10 centimètres à cette échéance?
Absolument. Il faut l’avoir en tête. Il y a des zones basses qui vont être de plus en plus exposées à des inondations à marée haute et des submersions chroniques. Leur répétition peut avoir un impact socio-économique fort, avec des nuisances, un impact sur l’activité et des mouvements de population. Sur la côte atlantique, le bassin d’Arcachon est un exemple emblématique de ces zones basses et fortement anthropisées où les enjeux sont énormes. Le cas est très intéressant. Pour l’heure, on n’a pas de signal clair sur la subsidence à cet endroit.
Quelles sont les activités humaines qui peuvent provoquer des mouvements verticaux du sol?
Les activités extractives, avec des affaissements considérables localement, de l’ordre d’un centimètre par an. C’est très bien identifié dans la région de Groningue, aux Pays-Bas, en raison de l’exploitation du gaz naturel. Le phénomène est très critique en certains points de l’Asie du Sud-Est. L’extraction d’eau dans le sous-sol de villes comme Djakarta [la capitale de l’Indonésie, NDLR] peut s’accompagner d’une subsidence d’une amplitude énorme: plusieurs mètres en l’espace de quelques années ou quelques dizaines d’années.
L’affaissement des côtes va rendre nécessaire une adaptation encore plus rapide
Qu’est-ce que l’étude que vous avez publiée apporte à la connaissance?
Il était difficile jusqu’à maintenant de dégager une cartographie de ces phénomènes pour l’ensemble du continent. On avait connaissance de tendances générales et on pouvait mener des études très localisées, sur une ville par exemple. Mais on ne disposait pas encore d’un outil cartographique à mailles fines à l’échelle de l’Europe comme il en existe aux États-Unis. C’est maintenant chose faite. On n’a pas encore les données à l’échelle mondiale mais ça ne saurait tarder.
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«On peut imaginer qu’avoir construit des infrastructures lourdes sur des sols meubles a des conséquences»
Que pouvez-vous conclure sur les infrastructures côtières?
On observe que les zones aéroportuaires – l’aéroport de Nice s’enfonce depuis très longtemps – et portuaires subissent des affaissements plus importants qu’alentour. L’étude n’en recherche pas les causes précises mais on peut imaginer qu’avoir construit des infrastructures lourdes sur des sols meubles a des conséquences. C’est notamment le cas sur les terrains gagnés sur la mer. Le taux de subsidence n’est pas forcément très élevé en ces endroits. Mais s’il s’établit à deux millimètres par an alors que la montée des eaux tourne autour de quatre millimètres par an, l’addition des deux aboutit à six millimètres par an, ce n’est pas le même rythme! En Europe, on sait déjà que l’élévation du niveau marin qui résulte du réchauffement climatique est actuellement de quatre millimètres par an et va s’accélérer pour durer plusieurs centaines d’années. À l’arrivée, nous aurons probablement plusieurs mètres de différence par rapport au niveau marin actuel. Si on ne prend que cette information en compte, on risque de rater une partie du problème: l’affaissement des côtes qui va rendre nécessaire une adaptation encore plus rapide.
Quelles sont les zones les plus affectées en Europe?
Les deux points chauds se trouvent aux Pays-Bas et sur la côte nord de la mer Adriatique, deux larges zones qui, pour la seconde, englobe la plaine du Pô en Italie. Pour la partie française, il s’agit de zones moins étendues: l’aéroport de Nice, Palavas-les-Flots sur le littoral de l’Hérault, des parties des ports de Brest et du Havre, des portions du front de mer de LaRochelle qui ont tendance à s’enfoncer… De manière générale, on observe que les points sur lesquels on a construit des digues sont souvent sujets à subsidence, même si elle reste limitée.